Les leçons de la dernière BAR pour le futur + bonus: hypothèses sur le design d'Underwolrds
La dernière
liste restreinte a brisé de nombreux gardes fous que la majorité de la
communauté pensait clairement ancrés dans le sacré. De nombreux chamboulements
ont eu lieu et leurs répercussions s'étendront bien plus durablement que lors des
prochains mois. Dans cet article je ne m'intéresserai pas particulièrement aux
cartes qui sont tombées sur le coup de la restriction ou du bannissement
(Thunderkiss l'a déjà fait bien mieux que j'aurais pu de toute façon le faire
ici), mais je me focaliserai sur les grands changements de paradigmes qui sont
apparus en une seule fois dans cette BAR toute particulière et sur leurs
implications sur le futur de notre jeu préféré. En bonus, je vous fournirai mes
hypothèses quant à la démarche de création des designers qui sont derrière
toutes les joyeusetés qui apparaissent dans l'arène peu paisible d'Underwolrds.
1) Les cartes de bandes ne sont plus intouchables
Les
hurlements de surprise et les cris de joie ont fusés quand la communauté a
découvert que de nombreuses bandes voyaient leurs cartes restreintes. Alors
qu'auparavant, cette restriction ne s'appliquait qu'aux cartes neutres, c'est à
l'ADN même des bandes que les designers d'Underwolds s'attaquent avec cette
décision. Pouvait-il vraiment en être autrement sans que certaines bandes ne dominent
totalement le méta? Je ne pense pas et
je vois cette décision d'un très bon œil. Les goules et les veuves étaient déjà
particulièrement saturées en excellentes cartes et je ne parviens pas à
imaginer comment ce simple fait pouvait être combattu sans restriction et sans
un effet de powercreep dont je ne suis pas particulièrement fan (euphémisme
total). Avec la rotation effectuée à chaque nouvelle édition et donc un pool de
cartes se rétrécissant en début de saison, la plupart des joueurs et leurs
grands-mères se seraient tournés immédiatement vers les factions détenant une
efficacité inhérente à leurs cartes de bande, amenant, à mon avis à une
surreprésentation de ces bandes en ouverture d'une nouvelle saison sur la scène
compétitive. Espérons que ces "sanctions" prises contre les
challengers permettront à une plus grande diversité de subsister, même lors du
commencement de la prochaine saison. Ce
nouveau paradigme garantit également que dans le futur toute bande trop chargée
en cartes très puissantes pourra être bridée par des restrictions s'opérant
dans son seul pool. De plus, des restrictions propres à des cartes bandes donnent
une nouvelle possibilité d'équilibrer des factions entre elles, comme nous le
verrons dans le prochain point traité.
2) Les cartes de bandes (et neutres) ne sont pas égales
entre elles
Un certain
paradoxe qui pourrait passer pour un oubli n'aura pas manqué de frapper les
observateurs les plus scrupuleux de la nouvelle BAR liste. Elle peut s'énoncer
ainsi: "Victoire temporaire est restreinte en neutre, Pour le Roi est
restreinte chez les goules, pourquoi Profanateurs qui est exactement la même
carte chez les chèvres de guerre n'est-elle pas restreinte?". La
thématique faisait jaser depuis un moment, surtout à l'encontre des goules à
qui tout semblait sourire si ce n'est leurs propres faciès déformés. Pourquoi
donc les abjects nécrophages, en plus de leurs innombrables cartes démentes,
disposaient-ils d'un équivalent à Victoire temporaire dans leur clan qui
n'était en plus, à ce moment-là, pas restreint, leur conférant un avantage plus
qu'indécent? La BAR liste a changé cet inacceptable iniquité mais a épargné les
bêlants profanateurs en leur laissant libre accès à l'équivalent des goules. Il
s'agit donc d'un choix conscient des designers de ne pas restreindre une carte
pour son effet considéré trop puissant, mais de prendre en compte le contexte
du clan dont elle est issue. Victoire temporaire est une carte tellement
importante pour toute dynamique axée sur les objectifs que sa neutralité, et donc
son accès aux bandes disposants des meilleures armes pour cela, exige une
restriction. De même, pour les goules dont la stratégie la plus payante
apparaît être le contrôle d'objectifs et qui sont reconnues pour dominer le
méta, il est intéressant de contrôler son accès. Par contre, pour les hommes-bêtes
qui n'ont jusque-là joué que comme figurants pathétiques de la scène
compétitive d'Underworlds, il peut être ingénieux de leur laisser un avantage
sous la forme d'une carte qui est restreinte dans toutes ses autres itérations.
Cette différence de traitement entre la carte des goules et celle des
hommes-bêtes me paraît démontrer une bonne réflexion sur l'état du jeu et
permettre aux chèvres chaotiques de devenir un choix intéressant par rapport à
l'alternative des cannibales.
3) Les combattants ne sont plus sacrés
Je pense que
de nombreux bouchons de champagne ont sauté dès lors que la communauté a vu
l'errata qui était apposée à Varclav. Non seulement cette correction rendait le
pouvoir du geôlier un tout petit peu moins délirant, mais en plus elle annonçait
très clairement que tout déséquilibre provenant du texte d'un combattant
pourrait désormais être réduit s'il amenait à un trop grand avantage dans le
jeu. L'addition de la restriction de cartes de bandes et de la modification du
texte d'un combattant démontre une attitude qui me paraît très saine pour le
futur du jeu: des mesures peuvent être prises à tous les niveaux pour éviter
qu'une bande émerge comme trop puissante dans le méta. Et ce postulat de réduction
de la force des puissants par rapport aux faibles est encore davantage mis en
exergue par le point suivant.
4) Les bandes n'ont pas besoin de passer par l'épreuve du
feu des tournois pour être modifiées
L'arbalétrier
ogor n'a pas très bien dû comprendre ce qui lui arrivait. A peine sorti de sa
boîte cartonnée pour chasser les proies sur le territoire de son plateau, il
s'est retrouvé rapidement confiné à devoir sucer les os éparpillés dans les
cavernes de beastgrave pour se sustenter. N'ayant pas eu l'opportunité de
briller sur une scène compétitive totalement balayée par un étrange virus
apparu sans doute avec la sortie de Nurgle, il attendait donc son heure en
aiguisant ses carreaux. Mais avant même d'avoir pu faire ses preuves, alors que
quelques guerriers commençaient timidement à arpenter les steppes des tournois,
la BAR liste s'est abattu sur l'ogor, restreignant, ou pire, le privant des
pièces les plus puissantes de son arsenal. Pourtant, aucun indice, aucun
signale ne laissait jusque-là présager de son hégémonie sur le méta, si ce
n'est des commentaires acerbes d'un certain nombre de joueurs sur des synergies
et des cartes un peu trop grosbillesques. L'ogor n'aura donc pas eu le temps de
faire de dégâts ou de démontrer un potentiel de destruction avant de se voir
poser une forte muselière par les designers. Cette situation pourra paraître
injuste pour certains qui maintiendront que l'ogor était équilibré et qu'il
n'aurait nullement nuit sans restriction au jeu tandis que d'autres
applaudiront cette politique préventive. Pour ma part, je trouve très courageux
d'avoir pris une décision sans preuves tangibles comme auraient pu l'être les
résultats de tournois pour préserver proactivement un environnement qui sinon
aurait pu être mis en danger. Je trouve ça assez écologiste dans l'esprit et
pour un mangeur de carottes, c'est forcément plutôt bien.
5) Les designers aiment les plafonds, pas les planchers
Alors non,
je ne m'apprête pas à parler de décoration d'intérieur, rassurez-vous. Cette
expression est simplement là pour pointer le sens dans lequel s’exerce les
ajustements de la part des designers d’Underwolrds. En l’occurrence, on pourra
remarquer que les changements amenés par les BAR listes sont systématiquement
appliqués afin d’affaiblir un archétype particulièrement puissant du méta qui a
tendance à déstabiliser le jeu. Mollog l’avait vécu en son temps et avec cette
dernière liste de cartes restreintes accompagnées de ses nouveautés de ciblage
de bandes, on a pu encore mieux voir à l’œuvre cette volonté d’installer un
plafond afin que personne ne prenne un ascendant trop important sur les autres.
Par contre, on aurait pu penser, avec le changement de texte portant sur
Varclav, que certaines bandes auraient pu être "mises à jour" et
rehausser avec quelques changements très simples. Ainsi, une bonne bande de
laissés pour compte qui aurait profité avantageusement d’un changement mineur
est la meute fanatique qui récure tranquillement les fonds de la scène
compétitive actuellement. Une petite errata leur donnant le trait de chasseurs
dont ils ont d’ailleurs tous les attributs (il y a quand même le hunt de hunter
dans leur nom anglais, Godsworn hunt) leur aurait ouvert de nombreuses
nouvelles possibilités de deckbuilding et les aurait peut-être sorti de leur
position peu avantageuse. De nombreuses bandes pourraient ainsi, avec des
changements mineurs, recevoir un petit coup de pouce vers le haut. Mais si vous
espériez ressortir vos nains à pagne, il ne semble pas que les designers aient
l’intention de sitôt d’établir un plancher en repêchant les bandes qui sont à
la traîne, leur attention étant focalisée sur les bandes présentant une menace
pour l’équilibre du jeu.
VS
READY?
FIGHT!
6) Quelques hypothèses sur le processus de design
d'Underwolrds : Pygmalion VS La créature de Frankenstein
D’après mon
expérience des jeux de cartes à collectionner, j’ai pu observer deux grandes
tendances lors du processus de création et d’accompagnement des différents projets
des designers. Je séparerai ici les deux démarches en un diptyque de mythes
créateurs opposés : Pygmalion et la créature de Frankenstein (que l’on
nommera Franky, comme ça c’est plus court et c’est bon). La légende de Pygmalion,
c’est l’histoire d’un sculpteur du nom de Galatée qui devant la perfection de
sa dernière œuvre, une femme qu’il nomme Pygmalion, en tombe éperdument
amoureux. Aphrodite, qui aime bien les histoires qui se finissent bien, donne
alors la vie à Pygmalion pour que l’idylle fantasmée de Galatée puisse devenir
réelle et qu’ils puissent s’unir, vivre heureux, plein de marmots, etc. L’histoire
de Franky, on la connait mieux, c’est un savant fou qui ramasse un peu des
parties de corps au hasard, qui les assemble en gros selon le patron de ce qu’il
aimerait en faire et qui, grâce aux miracles de la science, donne la vie à l’étrange
construction organique. Sauf que la créature ainsi créée va avoir quelques
comptes à régler avec son créateur et va entamer un processus de destruction de
l’environnement dans laquelle elle se trouve, poussant le bon docteur Franky à
tenter de l’arrêter par tous les moyens. On a donc d’un côté une œuvre parfaite
soumise et portée par la vision idéalisée de son créateur et de l’autre un
amalgame chaotique dont l’auteur n’aura de cesse de chercher à contrôler.
Revenons au
monde des cartes et de leur création. Le processus que je rapproche de celui de
Pygmalion consiste à passer beaucoup de temps dans la démarche de conception et
de playtesting pour parvenir à un résultat qui est censé (les deux mots qui
précèdent sont particulièrement importants) être le plus raffiné possible lors
de sa sortie. Puisque le produit est alors censé être de qualité, nul besoin d’y
apporter rapidement des changements et les erratas ou modifications n’apparaissent
que des années plus tard, si un jour elles apparaissent. Le processus qui s’apparente
à celui de Franky, c’est au contraire de passer moins de temps dans la phase de
conception et de playtesting, quitte à obtenir quelque chose dont on n’appréhende
pas très bien les caractéristiques et l’impact sur l’environnement. Par contre,
un suivi systématique et rapide est alors proposé pour encadrer le fruit de cette
création approximative pour s’assurer qu’elle produise le moins de dégâts
possible et se rapproche d’un être équilibré qui mange au minimum cinq fruits
et légumes par jour. Vous l’aurez compris, dans ma vision des choses, Underwolrds
s’inscrit très clairement dans le paradigme de Franky et il me semble que les
leçons de cette BAR liste le démontre assez clairement. J’imagine assez le
processus de construction d’une bande comme une soirée pizza entre potes où
chacun amène quelques propositions entre deux anecdotes sur la couleur de la chemise
du nouveau stagiaire. Ce processus créatif peut alors donner lieu à des
créatures à la puissance incomparable (Reine des Ronces et Goules, par exemple)
ou alors à des êtres dont on peine à comprendre le mode de fonctionnement (Verructés
avec leurs objectifs incomparablement dérisoires). Pour ce qui est du
playtesting dans Underwolrds, j’ai parfois du mal à imaginer qu’il ait lieu,
tant des aberrations telles que Reflexe de chasseur associé à l’Ogor me
paraissent difficile à ne pas repérer immédiatement comme des synergies nuisant
au jeu.
On pourrait peut-être
penser en lisant mon allégorie composée de deux créatures mythiques et ma
description du design supposé d’Underworlds que ma préférence va aux charmes innés
de Pygmalion plutôt qu’à la calleuse adaptation de la créature de Franky. Dans
les faits, je suis tout à fait enchanté du choix des designers d’Underworlds. En
l’occurrence, dans la plupart des autres jeux de cartes dans lesquels je me suis
investi, je me suis plutôt retrouvé face à des designs de type Pygmalion. Les
concepteurs semblaient tellement être tombés sous le charme de leur création qu’ils
peinaient à en voir les défauts et donc à agir pour remédier à des effets qui
ruinaient l’équilibre de leur jeu et vampirisaient son intérêt. Ainsi, vous
avez peut-être connu un autre excellent jeu de cartes basé sur l’univers de
Games Workshop : Warhammer 40k Conquest. Proposant initialement une
expérience ludique vraiment très prenante, ce LCG a été très vite prétérité, dans
son premier cycle d’expansions, par une carte qui, à elle seule, a déterminé la
suprématie d’une faction et a rendu obsolète un pan complet du pool de cartes
accessible jusqu’à la fin du jeu, deux ans plus tard. Aucune mesure n’a été prise
pour restreindre la carte, aucune errata proposée. L’idylle de Pygmalion ne
semblait s’appliquer qu’aux concepteurs alors que la communauté demandait expressément
un changement. Il ne s’agit d’ailleurs pas là d’un fait isolé et dans de
nombreux autres jeux de cartes, même actuellement, des joueurs découvrent les nouvelles
créations des designers en se disant : "Cette carte n’est pas du tout
équilibrée, combien de temps le méta va-t-il devoir subir son influence ? ".
Pour les jeux auxquels j’ai participé auparavant, la réponse à cette question
est en moyenne 1 an et demi. Et quand enfin l’élément disruptif est maîtrisé,
entre temps, de nombreuses nouvelles cartes extrêmement problématiques ont eu
le temps de voir le jour.
Du coup, j’ai
tendance à être extrêmement content de l’approche très frankensteinienne des
concepteurs d’Underworlds. Quand une bande à sa sortie me paraît trop puissante
ou une carte neutre absolument déséquilibrée, je me dis juste : "Voilà
une soirée pizza qui a encore accouché d’une monstruosité, dans trois mois, cette
bande/carte va être bien bridée par ses créateurs. ". Les exemples sont d’ailleurs
nombreux dans l’Underblog lors des notations des cartes neutres où certains d’entre
nous ont émis des doutes sur la stabilité d’une carte tout en prophétisant son
apparition prochaine sur une liste restreinte voire un bannissement. Jusque-là,
chacune de ces prédictions s’est réalisée. La dernière BAR liste démontre que les
concepteurs d’Underworlds n’ont pas peur de se salir les mains en s’en prenant
à leur création qui ont le plus de chance d’endommager l’équilibre du jeu et
ainsi d’amoindrir sensiblement le plaisir ludique des joueurs. Sans être parfaite
(je pense que certaines bandes pourraient encore recevoir quelques révisions
pour être nivelée au niveau des autres), cette démarche me paraît très probante
et c’est une des raisons majeures qui me fait d’autant plus apprécier le jeu.
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